Avis principal par Beldaran
L’arrivée de Jaadugar dans notre contrée marque une modification profonde des collections des éditions Glénat avec la suppression des cibles éditoriales sur le dos des tomes. Il ne s’agit pas du premier éditeur à se débarrasser de ces cibles, éliminées depuis longtemps par les éditions Akata qui ont fait le choix d’utiliser des thèmes pour présenter la série, même s’ils arrivent à garder la cible correcte sur leur site. En effet, les éditions Glénat ont catalogué ce shojosei historique en seinen, affirmant que le josei n’existe pas en France. Affirmation ubuesque qui a conduit certains sites à indiquer que le titre se trouve à la croisée du seinen et du josei mais plus seinen quand même. A noter que sur les réseaux Julie Popek et CaptainNisaka ont posté des fils très intéressants sur les labels au Japon.
Ce récit historique arrive en France auréolé de succès. En effet, il a raflé le prix de meilleur manga féminin au Kono Manga ga sugoi! 2023. Il nous offre une plongée dans les premières décennies du XIIIe siècle sur le continent asiatique au moment de l’expansion de l’Empire Mongol. La lecture fut captivante.
J’ajoute qu’une adaptation animée par le studio Science Saru a été annoncée cette semaine.
Sitara, née d’une esclave, est vendue à une famille de savants afin d’acquérir quelques connaissances en vue de servir, lorsqu’elle sera adulte, un homme noble. La jeune fille doit accepter le lot de nombreuses femmes, ne pas être maîtresse de sa destinée, tout en aiguisant son esprit grâce au savoir : la connaissance est une arme puissante. Elle a la chance d’atterrir dans une bonne famille de savants.
J’apprécie la manière dont Tomato Soup met en lumière les savants musulmans et leurs façons de concevoir les connaissances toujours par le prisme de la religion. Il convient de ne pas oublier que le savoir grec a été transmis en bonne partie par les musulmans. Par conséquent, c’est très intéressant d’avoir cette vision présentée, développée via le manga.
L’autrice expose avec un enrobage de fiction, des faits historiques, sans aucun jugement. La civilisation perse, comme d’autres, reposait sur un système d’esclaves domestiques et la guerre ravageait ces territoires. Les conséquences de ses conflits sont exposées de manière brutales, par les yeux de Sitara, déracinée, jusqu’aux confins des terres mongoles par un des fils de Gengis Khan, Tolui, à la recherche lui-aussi de certains ouvrages.
Les premiers pas de Sitara se dévoilent au cœur d’une narration posée qui prend le temps d’exposer les enjeux d’une période tiraillée entre, expansion de la connaissance qui fait grandir l’humanité et expansion territoriale que la détruit. Au cœur de ce marasme, sa vivacité d’esprit, ses capacités d’observation et ses connaissances seront les plus fortes alliés de Sitara, sachant que du côté mongol, les femmes aussi aiguisent leur esprit.
Le volume s’arrête en steppes mongoles et promet de très belles choses pour la suite.
Les graphismes de Tomato Soup sont singuliers, tout en rondeur, hommage au trait de Tezuka mais qui évoquent également celui de Marjane Satrapi. Cette fausse simplicité apporte un contraste saisissant avec les scènes de violence. Un soin particulier est apporté aux costumes et aux décors. Le découpage est très marqué, par des cases aux traits épais où quasiment rien ne dépasse. Il y a de belles idées dans le choix de certains angles de vue.
L’éditeur a fait le choix du grand format, j’imagine pour toucher le lectorat de bandes dessinées au sens large, mais qui a mon sens n’est pas très pertinent, vu le style graphique de Tomato Soup. Le papier est légèrement transparent, la qualité d’impression plutôt correcte et j’aurais apprécié une illustration couleurs. J’ai eu du mal avec certaines typographies, peu lisibles. La traduction, signée Mathilde Vaillant, est très agréable.
En conclusion
Jaadugar annonce une fresque historique en Eurasie absolument fascinante, portée par un personnage féminin opiniâtre et attachant. C’est un coup de cœur.
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