En marge de Japan Expo 2025, une conférence de presse s’est déroulée le mercredi 2 juillet, organisée par les éditions Glénat à la Maison de la Poésie. J’ai eu le plaisir d’être invitée et j’ai donc chamboulé mes plans pour venir sur Paris un jour plus tôt, afin de rencontrer Oreco Tachibana lors de cet échange.
Pour rappel, Oreco Tachibana est connue en France pour ses séries Promise Cinderella (4 volumes sur 16, terminé) et Les Noces des Lucioles (4 volumes sur 8, en cours), toutes deux publiées aux éditions Glénat.
Lors de cette conférence, les questions étaient déjà préparées. Nous pouvions envoyer quelques questions en amont, sans savoir laquelle serait retenue. Voici la retranscription de cette matinée riche en émotions, que ce soit pour moi, mais aussi pour l’autrice qui était très stressée car c’était la première fois qu’elle prenait la parole devant autant de personnes (nous étions une vingtaine).
Bonjour Tachibana-sensei, bienvenue à Paris. Tout d’abord, c’est votre première fois en France ? Qu’avez-vous hâte de découvrir ?
Oreco Tachibana : C’est la première fois que je viens à l’étranger, donc en dehors du Japon. Il paraît que la cuisine française est délicieuse, j’aimerais bien manger plein de choses différentes. J’aime beaucoup le pain et j’aimerais en manger plein. Je pense que je vais prendre 5 kilos avant de rentrer au Japon.
On m’a dit que vous aviez mangé un très bon repas hier soir ?
Oreco Tachibana : Au Japon, je n’ai jamais trop aimé le fromage. Mais hier soir au restaurant, il y avait un plateau de fromages, avec plusieurs fromages différents. J’ai mangé de tout et j’ai découvert la variété des fromages français. J’ai adoré.
Avez-vous suivi un parcours ou une formation artistique ?
Oreco Tachibana : J’ai appris toute seule le dessin. Mais je me suis quand même documentée et j’ai regardé des archives sur le corps humain.
Et maintenant, continuez-vous encore à vous exercer ?
Oreco Tachibana : Quand je suis sur une série qui dure longtemps, je me concentre dessus et je n’ai pas beaucoup de temps pour m’exercer. J’essaie de le faire entre deux séries quand j’ai un peu de temps.
Vos œuvres évoquent aussi l’atmosphère de séries télévisées. Y a-t-il certaines séries ou certains artistes qui vous ont particulièrement marquée ? Lesquels et vous ont-ils influencée dans votre travail ?
Oreco Tachibana : Quand j’écris, avant cela j’ai déjà une certaine image de la scène dans ma tête. J’essaie de la visualiser et de dessiner à partir de cela, c’est peut-être pour cela que mes œuvres donnent l’impression d’une série télé. Mes films préférés sont Titanic, Mr. et Mrs. Smith et la série coréenne Crash Landing on You.
On est d’accord qu’il y avait de la place sur la planche à la fin de Titanic ?
Oreco Tachibana : Pour moi, la fin est parfaite comme ça.
Vous avez dit en interview que Les Noces des Lucioles est un manga né de votre intérêt pour les couples psychopathe x princesse. Avez-vous des œuvres de référence à ce sujet ?
Oreco Tachibana : Pas tout à fait, mais pour Satoko et Shinpei, j’avais référencé des caractères qui sont dans d’autres mangas au Japon.
Vous avez fait vos débuts avec la série Promise Cinderella sur Manga One, c’est aussi là qu’est publié Les Noces des Lucioles, votre série actuelle. C’est une plateforme qu’on ne connaît pas bien en France. Comment s’est déroulée cette première collaboration ? Êtes-vous libre dans le rythme de parution et dans le développement de vos histoires ?
Oreco Tachibana : C’était la première fois que j’étais publiée, je n’ai jamais mis mes œuvres sur d’autres plateformes ou journaux. Je ne peux pas trop comparer, mais on me donne beaucoup de liberté au niveau du rythme de travail et de la conception, alors je me sens vraiment libre de faire mes œuvres. Je suis très contente et je pense rester sur cette plateforme car je m’y sens bien.
Comment créez-vous vos personnages ? Avez-vous un processus créatif particulier ?
Oreco Tachibana : Je suis moi-même quelqu’un de très timide et réservée. Je n’arrive pas trop à dire ce que je pense. J’ai donc envie de dessiner un personnage principal qui est le contraire de moi et qui dit des choses très franches, qui est déterminée. De même pour les autres personnages féminins, j’aimerais qu’elles soient toutes comme ça.
Lorsque vous développez le destin de vos héroïnes, est-ce que vous souhaitez les rendre inspirantes pour vos lecteurs et lectrices ? Si oui, quelles sont les idées que vous aimeriez transmettre à travers elles ?
Oreco Tachibana : C’est important de toucher les lecteurs et lectrices, mais il faut d’abord que l’histoire me ressemble et que mes personnages me parlent et me touchent. C’est le plus important pour moi. Ensuite j’aimerais que mes personnages, notamment Satoko, fassent beaucoup d’expériences et surmontent des situations difficiles, pour aller de l’avant dans leur vie.
Vous avez déclaré en interview que ce sont les discussions avec votre mari qui vous ont inspiré l’intrigue de Promise Cinderella. Est-ce que ce sont les échanges avec les autres qui guident vos questionnements vous permettant de créer vos histoires ?
Oreco Tachibana : Oui, les échanges et les conversations avec les autres m’inspirent pour mes œuvres. Et même maintenant, le fait de parler avec des français pour la première fois peut me donner des idées pour mes histoires.
Dans Promise Cinderella, le rapport de force entre Hayame et Issei est assez complexe et s’inverse presque à chaque chapitre. Comment faites-vous pour construire des duos aussi forts ?
Oreco Tachibana : J’aime bien la combinaison de deux personnages forts dans un couple, c’est ce que j’ai essayé de montrer.
La différence d’âge entre Issei et Hayame est un point fort que vous maîtrisez très bien dans Promise Cinderella, qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre cet écart d’âge dans votre scénario ?
Oreco Tachibana : Après avoir accouché de ma fille, j’avais l’impression que les hommes avaient un côté mignon. J’ai imaginé qu’avec un décalage de 10 ans, ce serait encore plus mignon. C’est cette idée qui m’a poussé à écrire mon histoire Promise Cinderella.
Est-ce que Promise Cinderella vous a permis de dire, d’exprimer des choses que vous n’osiez pas dire dans la vraie vie ? Si oui, quoi ?
Oreco Tachibana : En fait, mon mari est à l’origine du personnage de Hayame, c’est quelqu’un qui dit des choses très franches, très fortes. Comme je vous l’ai dit, je suis très réservée et j’essaie de dire des choses à mon mari, comme Hayame. Je pense que ma timidité envers lui a commencé à s’améliorer quand j’ai commencé à dessiner.
La mise en scène de la tension romantique dans vos œuvres est très efficace. Comment travaillez-vous la narration visuelle pour que les scènes d’émotions ou de confrontation soient percutantes ?
Oreco Tachibana : Je pense que c’est pareil pour tous les mangakas. J’essaie d’étudier plusieurs angles du corps humain, d’en haut, d’en bas, du côté… Je choisis ensuite l’angle et l’aspect qui est le plus efficace pour chaque scène.
En France, actuellement, la romance connaît un très grand succès, que ce soit dans les films, les séries ou les romans. Quels sont pour vous les ingrédients indispensables à une bonne romance ?
Oreco Tachibana : Je pense que le plus important, ce sont les expériences personnelles. Même si je ne suis plus une adolescente, j’essaie de sortir et d’avoir des rendez-vous amoureux pour avoir plus d’expériences réelles pour mes œuvres.
Et comment se différencier des romances existantes ?
Oreco Tachibana : Les situations romantiques sont souvent les mêmes. J’essaie de me différencier des autres mangas grâce aux personnages et à leur situation pour la rendre plus originale. J’essaie de créer des personnages qui donnent envie aux lecteurs et lectrices de lire jusqu’à la fin.
L’histoire des Noces des Lucioles se passe pendant l’ère Meiji. Pourquoi avoir choisi cette période et comment vous documentez-vous ?
Oreco Tachibana : Ma réponse va être un peu plus longue. D’abord j’ai fait beaucoup de recherches sur l’ère Meiji, en lisant des livres et des archives. Je suis même allée dans un musée sur les maisons closes. Je pense qu’en France, il y avait également des nobles. Au Japon, on les appelait kazoku, et j’ai fait des recherches sur cela aussi. Ensuite, je pense que les assassins existaient encore durant l’ère Meiji. Tout cela a donné une certaine cruauté à cette époque et je voulais dessiner cela. J’ai réfléchi à tous ces éléments, et si je voulais les mettre dans mon œuvre, c’était l’ère Meiji qui était la plus appropriée. De plus, j’aime dessiner le mélange entre Japon et occident, et c’est à cette époque qu’il y a eu le plus d’influences venant de l’occident.
Les deux séries mettent en scène des amours impossibles (mariage arrangé et différence de statut dans Les Noces des Lucioles), ou compliqués (différence d’âge dans Promise Cinderella), tout en semblant s’inspirer des contes populaires et de la tradition des histoires romanesques. Aimez-vous revisiter de façon inédite ces intrigues afin qu’elles reflètent des enjeux ou relations de notre société actuelle ?
Oreco Tachibana : Vous allez peut-être être déçus par ma réponse, parce que dans ma tête je ne pense pas à tous ces problèmes, à ces différences telles que l’âge, la situation. Je pense seulement au fait de dessiner car j’adore ça. Et j’aimerais écrire les histoires que j’aime simplement. Si le résultat de mon travail influence des fans et que vous aimez mes œuvres, c’est comme un rêve pour moi et j’en suis très contente.
Les relations amoureuses commencent aussi sur des bases déséquilibrées : contrat de jeu humiliant dans Promise Cinderella, chantage et violence dans Les Noces des Lucioles. Est-ce une manière pour vous d’explorer la rédemption ou de questionner les récits amoureux classiques ?
Oreco Tachibana : C’est tout simple, je veux créer un personnage principal qui est au plus bas, dans une situation très difficile, pour qu’il puisse surmonter le problème et y arriver. Voilà ce que j’ai envie de dessiner.
Quand vous démarrez une nouvelle série, est-ce que vous avez déjà la fin en tête, ou est-ce que vos personnages peuvent parfois vous entraîner là où vous ne l’aviez pas prévu ?
Oreco Tachibana : Je décide toujours de la fin dès le début, mais cela change tout le temps, car je change tout le temps d’avis.
Promise Cinderella est un manga relativement long avec 16 volumes. Peut-on s’attendre à une même longévité avec Les Noces des Lucioles ?
Oreco Tachibana : Quand j’ai commencé cette série, j’ai pensé qu’elle finirait au volume 5 ou 7. Mais en dessinant, je me rends compte que j’ai envie de dessiner plus de choses, donc ça sera plutôt 11 ou 12.
Mais cela peut changer ?
Oreco Tachibana : C’est bien possible [rires].
Quels sont les plus grands défis que vous avez rencontrés en tant que mangaka, et comment les avez-vous surmontés ?
Oreco Tachibana : En fait c’est le dilemme de tout mangaka : ce que l’on veut dessiner ne correspond pas toujours à ce que le public veut lire. Heureusement, tout ce que je crée est accepté et adoré par le public. C’est un bon équilibre et j’arrive à dessiner ce que le public à envie de lire actuellement. J’arrive à en vivre en tant que mangaka et c’est très bien.
Comment avez-vous accueilli l’adaptation en live-action de Promise Cinderella ? Avez-vous participé à cette adaptation ?
Oreco Tachibana : Tout d’abord, j’ai été très contente et excitée de regarder une série télé faite à partir de mon œuvre. Chaque semaine, à l’heure de diffusion, j’étais devant avec mon portable en main pour mettre des commentaires sur mon compte X (anciennement Twitter) pour échanger avec les fans. Je suis aussi allée sur le plateau de tournage et j’ai dessiné un mini-manga sur mon ressenti du plateau. J’ai pu faire des vérifications sur le scénario et sur les dialogues. Je n’ai pas fait beaucoup de corrections car mon tantô (responsable éditorial) a tout vérifié.
Auriez-vous voulu jouer dedans ?
Oreco Tachibana : Non merci [rires].
Souhaiteriez-vous voir Les Noces des Lucioles adapté en anime ou en live-action ?
Oreco Tachibana : Bien sûr ! Plutôt en anime.
Est-ce que vous voudriez faire une voix dedans ?
Oreco Tachibana : Non, non [rires]. Je préfère dessiner, mais pourquoi pas assister aux auditions des seiyû (comédien de doublage).
Ce seraient quels types de voix pour Satoko et pour Shinpei ?
Oreco Tachibana : Shinpei aurait une voix plutôt enfantine. Satoko est jeune, mais ce serait une voix calme et posée.
Avez-vous déjà une prochaine œuvre en tête ? Ou une histoire que vous n’avez pas encore osé raconter ?
Oreco Tachibana : Il y a beaucoup d’histoires que j’ai encore envie de dessiner. C’est sans fin car j’ai beaucoup d’idées. Mais j’essaie de ne pas trop y penser, car je dois rester concentrée sur ma série actuelle. Cela sera peut-être un drame humain ou du sport.
Comment vous sentez-vous avant Japan Expo ?
Oreco Tachibana : Je suis très timide et j’ai du mal à parler devant un public, donc j’ai le trac.
Bravo pour aujourd’hui et merci d’avoir répondu aux questions.
[applaudissements]
Oreco Tachibana : Avez-vous un personnage préféré ?
L’audience répond en donnant plusieurs noms : Issei, Hayame, Shinpei, Satoko, cette dernière remportant la majorité lors d’un vote à main levée.
Oreco Tachibana : Merci beaucoup !
Propos recueillis par ladybird3000 pour Bulle Shôjo. Remerciements spéciaux à l’équipe des éditions Glénat, en particulier Oscar, pour nous avoir donné cette belle opportunité, à l’interprète Amiko Yagi et à l’animateur Flavien Appavou qui ont permis cet échange, et bien sûr à Oreco Tachibana qui a réussi à répondre à chaque question malgré le stress.