Demande à Modigliani !

Demande à Modigliani !

Résumé :

Chiba, Motoyoshi et Fujimoto sont trois étudiants d’une modeste école d’art située dans les montagnes du nord-est du Japon où tout le monde peut s’y inscrire, même les imbéciles ! Ces inséparables joyeux drilles vont devoir faire face aux difficultés liées à la création artistique, à l’incertitude quant à leur avenir professionnel, au froid insoutenable de l’hiver mais goûteront aussi aux joies de la vie étudiante dans un établissement essentiellement fréquenté par des filles. Source : naBan

Avis principal par Beldaran

Cette année a vu fleurir de nouvelles maisons d’édition sur le marché du manga. Le mois dernier, c’était au tour des jeunes éditions naBan de dévoiler leur premier titre, Demande à Modigliani !. Avec cette œuvre, toujours en cours de publication au Japon, nous découvrons le premier travail de la mangaka Ikue Aizawa. J’ai adoré cette lecture mais en même temps, une tranche-de-vie traitant du milieu de l’art ne pouvait que m’emballer.

Nous découvrons le quotidien d’un trio d’étudiants en art au sein d’une petite université perdue dans les montagnes de la province du Tohoku. J’ai été immédiatement séduite par l’aspect posée de la narration qui avec les trois premiers chapitres prend le temps de présenter ses personnages. Le ton est léger mais par le biais d’un des protagonistes glisse lentement vers la mélancolie en mettant en avant un drame qui a touché le Japon il y a quelques années. L’autrice traite ce passage avec beaucoup de justesse et de pudeur, sans sombrer dans un pathos dégoulinant.
C’est une tranche-de-vie qui parle d’art sous toutes ses formes, la sculpture, la verrerie, la peinture ou encore le travail de la laque. Il est particulièrement plaisant de découvrir ces pratiques, ce n’est jamais rébarbatif, grâce notamment aux joyeux personnages qui égayent l’ensemble. Néanmoins, le monde l’art est un milieu difficile et ce premier volume s’attache à présenter les doutes des différents personnages et surtout la difficulté de percer dans le milieu artistique avec tous les préjugés qui vont avec. C’est à force de travail et de sacrifices que les artistes se font une place, en se demandant perpétuellement, à quoi sert leur art ?
La lecture du tome m’a fait penser au film de Takeshi Kitano, Achille et la Tortue, sorti en 2008 qui offre une critique jubilatoire du monde de l’art. Le volume est verbeux mais grâce à sa portée didactique au sein d’une ambiance chaleureuse, il se savoure avec plaisir. C’est une histoire qu’il faut prendre le temps de découvrir et d’apprécier car autour de la thématique sérieuse de l’art, gravite une poignée d’individus, terriblement attachants.

Au cœur de cette petite université où tout le monde se connaît, la mangaka tisse de jolis liens entre les personnages pour un rendu vraiment vivant et intéressant à suivre. Naturellement, elle s’attarde sur son trio d’imbéciles, Chiba, Fujimoto et Motoyoshi auquel on s’attache très rapidement. Chiba travaille le verre. Il est nonchalant et surtout s’est un peu trop reposé sur son talent. Résultat, il est temps de se prendre en main et quoi de mieux qu’une gentille rivalité avec une camarade. Fujimoto est l’ami d’enfance de Chiba et possède un caractère totalement opposé. Il pratique la peinture occidentale avec sérieux. Il apparaît plus timide mais sait prendre les choses en main quand il le faut. Il est touchant. Le plus surprenant dans son développement est Motoyoshi. Il est spécialisé dans la peinture japonaise et plus précisément dans le style nihon-ga. C’est un étudiant réellement brillant mais qui cache une profonde tristesse. C’est un véritable plaisir de suivre leur quotidien entre désillusions et petites victoires.

Si j’ai autant apprécié ma lecture c’est grâce aux graphismes dont je suis totalement tombée sous le charme et ce, dès la première page. Le style est particulier et certains aspects m’ont évoqué le trait de Taiyô Matsumoto. Les pages grouillent de détails et fourmillent de vie. Les personnages sont formidablement expressifs. C’est un plaisir pour les yeux, même s’il faut l’avouer ce type de dessin ne séduira pas tout le monde. Cependant, il colle merveilleusement bien au récit.

En ce qui concerne l’édition, le choix du grand format est judicieux car permet d’apprécier les dessins de l’autrice. Le papier est souple mais légèrement transparent et l’impression de bonne qualité. La traduction signée Pierre Sarot est très emballante.

Tomes 2-4

Les éditions naBan ont annoncé sur les réseaux sociaux travailler sur le cinquième et dernier tome de la série qui sortira au mois de mai. J’ai donc décidé de reprendre la lecture du titre avec les tomes 2 à 4 qui confirme toutes les qualités du premier volume.

Nous retrouvons nos trois imbéciles heureux qui fourbissent leurs armes artistiques dans une petite université campagnarde. L’expansif Chiba, le sérieux Fujimoto et le brillant Motoyoshi permettent à Ikue Aizawa d’explorer de multiples thématiques traitant de l’art qui questionnent également notre rapport au milieu artistique.

Je ne vais pas présenter en détails ces trois volumes mais vous proposer un ressenti général qui pourrait se résumer à cela : c’est une série formidable, lisez-là. Ce n’est pas constructif mais vous avez l’idée.

Notre superbe trio mûrit suivant ses victoires, ses doutes et ses questionnements. Les années universitaires filent et il faut penser à l’avenir, futur parfaitement incarné par le destin du professeur Igarashi et de son ami. En effet, l’un comme l’autre n’ont pas forcément pris la voie qu’ils pensaient emprunter lorsqu’ils étaient étudiants. Mais que faire lorsque personne n’adhère à vos idées artistiques ? Renoncer ? Prendre un autre chemin qui vous apportera malgré tout une légère satisfaction ? Il est très intéressant d’observer qu’aucune réponse n’est meilleure qu’une autre.

D’ailleurs, j’ai apprécié la manière dont est traité le statut de « génie ».

Ikue Aizawa explique le choix de son titre par la jalousie qui animait les liens entre Modigliani et Picasso et démontre qu’elle a su créer un récit profondément humain et traité avec beaucoup de justesse. Cette humanité est parfaitement incarnée par Fujimoto qui envie à certains moments ses amis mais qui éprouve de la tristesse quand le sort ne leur est pas favorable. C’est un protagoniste touchant qui travaille d’arrache-pied et qui sacrifie sa santé.

Motoyoshi est celui sur qui l’étiquette de génie a été collée. Il est doué mais travaille dur pour s’améliorer. De plus, il a été frappé de plein fouet par la catastrophe de mars 2011. Cela se devinait dans le premier tome et c’est clairement confirmé par la suite. Cet évènement dramatique a une influence sur son art et sur la manière dont les gens vont le percevoir.

Par le développement, de ce personnage, l’autrice aborde les autoportraits, passage particulièrement pertinent à la compréhension de Motoyoshi mais aussi, de ce travail si particulier qui met les artistes à nu.

J’adore Chiba qui est l’incarnation parfaite du joyeux imbécile qui produit à l’instinct, sur l’impulsion du moment mais qui est capable de réfléchir. Il est profondément prévenant et chaleureux mais les concepts artistiques, purement théoriques, lui échappent un peu. Chiba prend l’initiative, régulièrement, même si c’est pour faire des bêtises car il panique et cri les premières choses qui lui passe par la tête. J’ai adoré son passage aux journées portes ouvertes.

Par moment, ce sont ses réflexions, souvent anodines, qui renforcent l’atmosphère mélancolique du titre. Ces remarques sur l’art sont toujours pertinentes, comme celle sur le pourquoi nous faisons de l’art et surtout pour qui ? L’art qui n’est vu par personne mérite-t-il d’exister ? L’art est-il utile ? Les réponses qu’apportent l’autrice sont satisfaisantes, sans être tranchées et nous laisse le champ libre. L’art permet de s’exprimer et de transmettre des sentiments. C’est une œuvre qui m’aura fait réfléchir à l’art dans son acception la plus large. Ce point a rendu la lecture encore plus captivante.

En fait, ce qui différencie ce titre de Blue Period par exemple, publié aux éditions Pika, c’est que l’autrice s’attache à présenter l’humain derrière l’artiste et de nombreux concepts autour de l’art, délaissant les aspects plus techniques de la création. Même si, vivre de son art, transformer sa passion en travail est une thématique qui se devine dans Blue Period mais le lycéen doit d’abord intégrer une école d’art. Dans le cas de nos trois imbéciles, ils ont déjà franchi ce pas et doivent donc exister sur la scène artistique et persévérer pour que leur art soit exposé, diffusé et espérer en vivre.

Le traitement est juste et d’autant plus efficace que l’histoire est portée par des personnages attachants et touchants. Leur amitié est mise en exergue lors de la création d’une œuvre commune et nous ne pouvons qu’être heureuses et heureux pour Fujimoto.

Les dernières pages du volume 4 sonnent bientôt la fin de la vie estudiantine et nos étudiants se plaisent à rêver de voyage mais leur projet de fin d’étude les rattrape.

Il est tout à fait terrible de se dire que le prochain tome sera le dernier, les tribulations du trio vont me manquer.

L’histoire nous captive, nous happe grâce au trait si particulier, très hachuré, de Ikue Aizawa. Il fourmille de détails et brille par son inventivité. J’adore les illustrations de chapitre qui sont d’une grande richesse et toujours surprenantes.

Cette série est une grande réussite, du récit au dessin. Laissez-vous tenter, vous ne regretterez pas le voyage.

  • Scénario
  • Dessin
5

En conclusion

Demande à Modigliani ! est une tranche-de-vie rafraichissante et chaleureuse sur le monde de l’art. Je suis impatiente de lire la suite des aventures de nos attachants imbéciles.

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